À 101 ans, la plus grande icône du cinéma français fait le choix bouleversant de s’éloigner de tout pour finir ses jours au cœur de deux châteaux dédiés à l’art

À 101 ans, elle tire modestement sa révérence, choisissant pour derniers décors non pas le silence d’une retraite ordinaire, mais la vivacité inspirante de deux châteaux dédiés à l’art. Une page se tourne, mais la légende s’écrit toujours dans la lumière douce de la création – loin du tumulte, tout près des voix et des couleurs qui ont animé son incroyable destinée.

Une vie devant la caméra, entre mystère et élégance

Née le 22 août 1922, son regard bleu a traversé quasiment un siècle d’histoire du cinéma français. Celle que la pellicule n’a jamais oubliée s’est distinguée par un jeu d’une grâce naturelle, la nuance au bout des doigts, la retenue comme signature. Les rôles majeurs ont jalonné son chemin : parmi eux, « Falbalas », « Le Diable au corps », ou encore la série « Les Saintes Chéries » – univers différents, mais toujours la même intensité sobre, capable d’imprimer la mémoire collective sans jamais forcer le trait. Rien d’excessif : juste ce qu’il faut de mystère, l’art consommé du non-dit, ce supplément d’âme rare dont se souvient tout spectateur.

Le métier, elle l’a abordé sans esbroufe, en distillant une émotion qui n’impose jamais : la subtilité en fil rouge, le petit frisson de la suggestion plutôt que la grande déclaration théâtrale. Son nom s’est inscrit dans l’histoire du septième art, sobrement mais sûrement, fidèle à son image d’icône discrète et inspirante.

Reconnaissance et transmission : une trajectoire de passion

Il y a les récompenses, bien sûr. En 2004, un César d’honneur vient consacrer un parcours déjà long de plusieurs décennies. Plus qu’un aboutissement, il s’agit d’une balise, d’un signe adressé à une carrière dont la longévité force l’admiration. Pourtant, pour cette actrice, la reconnaissance n’a jamais eu le goût de l’arrêt sur image.

La dernière partie de sa vie professionnelle s’est écrite avec sa fille, la cinéaste Tonie Marshall, dans une transmission artistique qui va bien au-delà des liens du sang. Ces moments partagés au cinéma, de « Pas très catholique » (1994) à « Vénus Beauté (Institut) » en 1999, « France Boutique » en 2003 puis « Tu veux ou tu veux pas » en 2014, racontent cette mémoire construite à deux voix, dans une filiation qui donne au mot « famille » un supplément créatif.

Mais la vie n’a pas que des scénarios heureux : Tonie disparaît en 2020 à l’âge de 68 ans, laissant à sa mère l’empreinte d’un deuil discret, mais aussi le réconfort apaisant de rituels simples, contre la tentation des silences pesants.

Un dernier acte dans la lumière des châteaux Smith-Champion

Le décor de cette nouvelle vie tranche avec l’image d’Épinal de la maison de retraite. Cap sur Nogent-sur-Marne, où la Maison nationale des artistes occupe deux superbes demeures, les châteaux Smith-Champion. Ici, vieillir rime avec création : au cœur d’un parc à l’anglaise de dix hectares, entre bâtisses du XVIIe et XVIIIe siècle autrefois propriétés de Madeleine Smith-Champion, peintre, et Jeanne Smith, photographe, l’art demeure vivant.

Depuis leur legs à l’État en 1944, ces lieux sont un refuge pour artistes et écrivains, sanctuaire où la fantaisie n’est jamais reléguée au grenier. Les lieux palpitent d’activités :

  • Concerts, lectures, performances et projections jalonnent la programmation.
  • Les expositions, collectives ou en solo, créent une passerelle entre les générations.
  • Tout concourt à maintenir l’art vivant, présent, vibrant dans chaque couloir.

Loin d’être figée, la flamme créative se ravive chaque année, les œuvres renouvelées en écho au passé comme à l’avenir.

Avant cette paisible parenthèse entre deux châteaux, l’actrice avait élu domicile dans le Val-d’Oise, à Haute-Isle. Un village troglodytique, réputé pour la seule église d’Île-de-France creusée dans la roche : un choix à la hauteur de son goût pour les lieux atypiques, loin du tape-à-l’œil et de l’anonymat.

Vieillir sans renoncer : un art en héritage

Aujourd’hui, ce fil discret de la création reste ininterrompu. La date du 22 août, date d’anniversaire, glisse comme une boussole entre les saisons. Le souvenir de sa fille dialogue en douceur avec les jours présents.

Le parc, la musique, les images, la vie des salles : tout dans cette retraite respire la fidélité à la lumière, la simplicité du geste créatif. Ici, rien ne permet à la mémoire de s’affadir ou à la flamme de vaciller.

Vieillir, pour cette actrice, n’a rien d’un renoncement : c’est le choix réfléchi du décor parfait pour prolonger l’élan créatif, à bonne distance du vacarme, tout près des couleurs, des voix et des souvenirs encore vivants.

Un dernier « clap » discret s’impose, saluant à la fois une trajectoire exemplaire… et, avec une pointe d’admiration, ce choix bouleversant de la beauté dans le silence.